Le spectre de l’antibiorésistance hante la communauté scientifique

28 Mai 2024

Paris – Les dangers de l’antibiorésistance inquiètent de plus en plus les scientifiques et certains craignent l’avènement d’une ère post-antibiotique.

En janvier 2017, le centre de contrôle et de lutte contre les maladies (CDC) américain avait rapporté le cas d’une patiente septuagénaire atteinte d’une infection respiratoire liée à la bactérie Klebsiella pneumoniae. La patiente était décédée après avoir pourtant reçu 26 antibiotiques différents, qui s’étaient tous montrés inefficaces. Le drame avait illustré la question de plus en plus prégnante de l’antibiorésistance : en raison de la consommation toujours plus importante et pas toujours avisée d’antibiotiques, de plus en plus de bactéries développent des résistances, menaçant l’efficacité de ce qui constitue sans doute l’une des plus grandes découvertes médicales de tous les temps.

Dans un long dossier publié jeudi dernier, la revue médicale The Lancet fait le point sur la progression de l’antibiorésistance. Selon le Global Burden of Disease (GBD), vaste programme de recherche analysant la mortalité et la morbidité dans le monde, les infections par des bactéries résistantes causent la mort d’1,27 million de personnes chaque année, soit environ 18 % des morts par maladies infectieuses dans le monde. Six agents pathogènes (Escherichia coli, Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae, Streptococcus pneumoniae, Acinetobacter baumannii, and Pseudomonas aeruginosa) sont responsables des trois quarts de ces morts. A lui seul, le staphylocoque doré résistant à la méticilline tue plus de 100 000 personnes par an. 

L’Afrique subsaharienne région la plus touchée par l’antibiorésistance 

L’Afrique subsaharienne est, comme bien souvent lorsqu’il s’agit de maladies infectieuses, la région la plus durement touchée. La France, où environ 5 000 personnes par an meurent d’une infection résistante aux antibiotiques, reste encore relativement épargnée par le phénomène, selon Philippe Glaser, spécialiste de ce sujet à l’Institut Pasteur. « Mais la situation se dégrade dans de nombreux pays » précise-t-il : en Europe, les septicémies dues à un staphylocoque doré ont augmenté de 51 % entre 2007 et 2015 et celles dues à Acinetobacter de 144 % entre 2018 et 2021.

Selon les données publiées ce jeudi par The Lancet, les jeunes enfants sont les plus à risque d’être emportés par une infection résistante aux antibiotiques : selon une étude réalisée dans onze pays entre 2018 et 2020, 18 % des nouveau-nés atteints de septicémie décèdent malgré les traitements antibiotiques. Les personnes âgées et les patients immunodéprimés sont également particulièrement à risque.

« La résistance aux antimicrobiens est en augmentation, accélérée par l’utilisation inappropriée d’antibiotiques pendant la pandémie de Covid, menaçant l’épine dorsale de la médecine moderne » commente le Pr Iruna Okeke, infectiologue nigérian et l’un des auteurs de cette série d’articles publiés par The Lancet. Le taux de bactéries résistantes aux antibiotiques de troisième génération pourrait ainsi être multiplié par plus de deux entre 2005 et 2035 dans les pays les plus riches de la planète.

Vers une ère post-antibiotique ?

Selon The Lancet, environ 60 % des décès dus à ces infections résistantes aux traitements pourraient être évités par des mesures de prévention relativement simples : l’amélioration de l’hygiène et de la stérilisation dans les établissements de santé, l’accès universel à l’eau potable et la vaccination contre les pneumocoques et la méningite pourraient ainsi sauver la vie de plus de 750 000 personnes par an dans le monde, majoritairement des enfants. Aussi, la revue médicale britannique appelle la communauté scientifique internationale à se fixer trois objectifs d’ici 2030 : réduire de 10 % la mortalité liée aux bactéries résistantes, de 20 % l’utilisation d’antibiotiques chez les humains et de 30 % celle chez les animaux. 

Outre la prévention et la réduction de l’utilisation d’antibiotiques, la lutte contre l’antibiorésistance passe également par le développement de nouveaux antibiotiques plus puissants. Un développement malheureusement freiné par les lois du marché. L’antibiorésistance concerne essentiellement, pour le moment, des pays en voie de développement et les traitements nouvellement développés doivent, par définition, n’être utilisés qu’avec parcimonie pour éviter le développement d’antibiorésistance. Le marché est donc considéré comme peu solvable et la plupart des firmes pharmaceutiques s’en désintéresse.

Les perspectives sont plutôt sombres. Selon les prédictions les plus alarmistes, les infections résistantes aux antibiotiques pourraient causer la mort de 10 millions de personnes par an d’ici 2050, les maladies infectieuses redevenant ainsi la première cause de mortalité dans le monde. Déjà en 2019, le Pr Pierre-Marie Girard, chef du service d’infectiologie à l’hôpital Saint-Antoine, estimait possible l’avènement d’une ère post-antibiotique. « C’est comme avec le réchauffement climatique : si rien ne bouge, il manque juste la date de la catastrophe ». 

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