12 000 morts « évitables » dans les Ehpad privés en 2020 ?

Paris, le jeudi 10 février 2022 – Lors d’une audition devant l’Assemblée Nationale, le député Jean-Louis Touraine a accusé le système privé d’avoir été responsable de 12 000 morts évitables dans les Ehpad en 2020.

 

Haro sur le secteur privé des Ehpad. Depuis la publication il y a deux semaines de Les Fossoyeurs, le livre enquête du journaliste Victor Castanet qui dénonce les dysfonctionnements et maltraitances dans les Ehpad gérés par le groupe Orpea, les accusations et révélations sur le secteur privé des maisons de retraite ne cessent de tomber les unes après les autres. Ce mercredi, devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale, qui mène depuis quelques jours des auditions sur « l’affaire Orpea », c’est Jean-Louis Touraine, à la fois député LREM, professeur d’immunologie et vice-président de la Fédération hospitalière de France (FHF), qui a attaqué les Ehpad privés sur un point très sensible : la gestion des deux premières vagues de l’épidémie de Covid-19 en 2020.

 

Ainsi, selon le Pr Touraine, c’est « 12 000 morts illégitimes » qui auraient pu être évités en 2020 si les Ehpad privés avait suivi le même modèle de gestion que les Ehpad publics. Pour arriver à ce chiffre, il s’appuie sur un rapport de la Drees de juillet dernier à propos de l’épidémie dans les Ehpad en 2020. L’étude avait notamment relevé que 13 % des Ehpad privés lucratifs avaient connu lors de la première vague un « épisode critique » (soit le cas ou plus de 10 résidents ou plus de 10 % d’entre eux décèdent de la Covid-19), contre seulement 9,2 % des établissements publics hospitaliers et 7,6 % des résidences publiques non-hospitalières.

 

« La mortalité due au Covid-19 a été observée comme significativement plus élevée dans les établissements privés que dans les établissements publics » a expliqué le Pr Touraine à ses collègues députés, « ceci en dépit du fait que les établissements publics ont des charges plus importantes et une rémunération inférieure à ce que l’on a dans le privé ». Le député reconnait cependant que « l’explication n’est pas encore clairement établie » pour comprendre cette surmortalité. Il avance notamment comme explication le plus faible encadrement dans les Ehpad privés : on y compte en moyenne 52 équivalent temps plein pour 100 résidents, contre 72 dans le secteur public. En juillet dernier, la Drees mettait également en avant le plus grand recours à la sous-traitance dans les Ehpad privés, qui conduit à un plus grand brassage de personnels et donc à un risque de contamination accrue.

 

En parallèle de ces accusations contre les Ehpad privés, c’est le manque de contrôle de ce secteur par les autorités publiques et leur inaction qui ont été pointés du doigt ces dernières 24 heures. Le journal Le Monde a ainsi révélé ce mercredi que l’établissement Les Bords de Seine, Ehpad luxueux d’Orpea à Neuilly-sur-Seine sur lequel le livre Les Fossoyeurs concentre ses attaques, avait fait l’objet d’un contrôle par l’ARS d’Ile-de-France en 2018. Les inspecteurs avaient relevé de nombreux dysfonctionnement, notamment quant au manque d’encadrement médical ainsi que diverses irrégularités administratives, sans toutefois pousser plus en avant son contrôle. La direction de l’établissement elle-même avait reconnu le 26 janvier dernier n’avoir pas suivi toutes les recommandations émises par l’ARS à la suite de ce contrôle.

 

« Les inspecteurs ont un pouvoir d’injection, mais c’est tout, il n’y a pas de sanctions derrière » explique Victor Castanet, qui a eu accès au rapport de l’ARS de l’époque. Le journaliste constate également que plusieurs « évènements indésirables » qu’il a constaté dans l’établissement en 2018 lors de son enquête, comme la mort de l’écrivaine Françoise Dorin deux mois après son arrivée dans l’établissement (des suites supposées d’un choc septique causé par une escarre non-traitée selon certains témoignages), ne sont pas évoqués dans le rapport de l’ARS. « Il y a des évènements indésirables qui ne sont pas déclarés aux autorités de contrôle, c’est une certitude » conclut le journaliste.

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